Patrick
Bonnifet a été le guitariste du groupe bordelais
STEEL ANGEL. Il a accepté de répondre à nos questions. Interview réalisée par
Shreut et Duby le 08
Octobre 2007.
Bonjour Patrick. Merci de répondre à ces quelques questions. Quand et
comment as-tu commencé à pratiquer la guitare ?
J'avais à peu près 13 ans quand ma sœur m'a offert une guitare
électrique à
piles avec 4 cordes. De là, j'ai découvert la musique et je passais déjà de longs
moments face à l'instrument, même si je n'y connaissais rien. C'était plutôt une
occupation, mais je ne me suis jamais forcé à prendre une guitare en main.
Quelles étaient tes premières influences ?
J'ai un frère et une sœur plus âgés de trois ou quatre ans, alors mes
influences ont été guidées par leurs goûts musicaux. Tous les jours, j'écoutais
Deep Purple, Slade, Pink Floyd et la pop du début des années 70.
Te souviens-tu de ton tout premier groupe ?
Mon premier groupe était comme pour de nombreux musiciens, constitué de
copains de lycée, à savoir un batteur et deux guitaristes. A cette époque, on ne
voyait pas trop la nécessité d'avoir un bassiste. Nous ne faisions bien sûr
uniquement que des reprises: Status Quo, Deep Purple, Led Zep...
Comment se sont rencontrés les musiciens de Steel Angel ?
J'ai rencontré Jean-Paul, le bassiste, en intégrant le groupe (rock) dans
lequel il jouait, et nous avons très vite compris que ça manquait de rythme. En
fait, nous avions les mêmes envies de faire du hard. Ensuite il m'a fait
rencontrer Freddy, le batteur, qu'il connaissait depuis un moment. Nous sommes
restés un long moment à trois et à cette époque, je connaissais HIGH POWER et
leur soliste Eric, qui travaillait avec Michel, notre futur guitariste. Eric me
disait depuis un moment que l'on devrait jouer avec ce musicien. Dès son
arrivée, Michel a transformé le groupe grâce à sa technique, qui était bien supérieure à la mienne. Il ne nous manquait plus qu'un chanteur, et là aussi,
nous avons eu la chance que Michel connaisse Patrice, qui devint par la suite
notre chanteur.
D'où vient le nom du groupe?
A Bordeaux, il y avait une tradition qui faisait qu'une grande partie des
groupes locaux avaient leur nom qui commençait par "S T" (Standarts, Stilletos,
Strychnine, Sto, Stalag, Stand By...). Nous, c'est un pur hasard. C'est Michel
et Pat qui ont trouvé ce nom, et nous l'avons tous adopté. C'est commun
aujourd'hui, mais à l'époque, ça sonnait bien. Et plus tard, on s'apercevra que le
nom correspondait à l'image que l'on donnait sur scène : moitié ange, moitié heavy...
A vos débuts, on vous a beaucoup rapproché musicalement de
HIGH POWER.
Quels rapports entreteniez-vous avec eux ?
Ca c'est une grande question. Il y avait une légère tension entre Patrick
Malbos, le chanteur de HIGH POWER et Michel, notre guitariste. En fait, ils ne se
connaissaient pas mais ne s'appréciaient pas trop : c'est comme ça... J'étais le
voisin et copain de Patrick et nous nous entendions très bien tous les deux.
J'ai vécu des situations assez sympas avec lui... Par exemple, il y avait une
légère ressemblance physique entre lui et moi et à la fin des concerts, les fans
s'adressaient à moi croyant parler à Patrick et inversement. Je dois ajouter que
HIGH POWER est le meilleur groupe français que j'ai vu sur scène. J'ai été,
comme beaucoup, marqué par la disparition de Jojo, leur batteur, et de Patrick,
bien sûr. Le jour de son enterrement, quand je suis arrivé devant l'église, il y
avait un nombre important de fans, et du fait de notre ressemblance, les gens
m'ont regardé avec insistance, ce qui m'a troublé. Je garderai un très bon
souvenir amical et nostalgique de ce groupe.
Vous participez vite à la compilation French Connection, comment
aviez-vous été sélectionnés ?
Tout est venu d'une série d'évènements : d'abord, notre manager Philippe Geneste
(batteur d'OVER SOUL) est allé à Paris avec une démo de trois titres
que nous venions d'enregistrer Il est entré par hasard dans le magasin "Remi
musique", et l'a fait écouter. Remy l'a donné à un journaliste d'Enfer
Magazine, Christian Vinot, qui a fait une très bonne critique dans le mensuel. De
là, la compilation et le premier album se sont très vite enchaînés.
Puis c'est la signature chez Devil's, que penses-tu de cette maison de
disques ?
A ce moment là et à l'age que nous avions, nous étions très contents d'être
signés par une maison de disques. Devil's Record avait déjà signé d'autres
groupes français plus connus que nous. En intégrant ce label, nous avions
l'impression de mettre un pied dans la famille...
On peut dire bien des choses sur ce label, mais il aura permis à des groupes
comme nous de se faire connaître en France et au delà des frontières. Nous,
musiciens, étions occupés par les problèmes de composition, de matériel... tout
ce qui était contrat, argent, promotion etc... je ne m'en occupais pas. Ce serait
différent aujourd'hui...
Aviez-vous fait des démos avant l'enregistrement de l'album ?
Oui, une seule de trois morceaux qui est recherchée aujourd'hui. Il y a deux
morceaux inédits dont un, assez lourd, qui s'appelle "Spread your metal wings"
(genre "Neon Night" d'Accept) que j'aimais beaucoup. Je ne sais plus pour
qu'elle raison il ne figure pas sur l'album !!!
Sur le premier album, le style du groupe est très fouillé, à tel point
qu'il serait facile de faire plusieurs morceaux en un seul, qu'en penses-tu ? Et
comment se passait le travail de composition au sein du groupe ?
Chaque groupe a une façon particulière de travailler. Chez nous, Michel ou
moi amenions un projet de morceau déjà bien avancé, et tout le groupe
travaillait dessus. Ca, c'était pour la musique. Pat se chargeait de trouver la
mélodie, et travaillait un texte en anglais qu'il nous soumettait ensuite.
Nos morceaux ont souvent la même trame : intro, couplet, refrain et surtout break.
C'est sur ces passages que nous passions le plus de temps. C'est aussi sur scène
le moment que nous préférions. Après le break venait le solo et la fin.
La pochette de ce premier album est superbe, qui s'en était chargé ?
C'est le frère du copain qui faisait nos éclairages, un photographe, qui a
eu l'idée de construire cet ange, et qui l'a photographié sous différentes
lumières. Il est malheureusement décédé...
Quelles ont été les répercutions de cet album en France et à l'étranger ?
Le premier nous a permis de nous faire connaître, surtout après la critique
d'Enfer magazine, les gens étaient impatients de nous écouter. J'ai reçu des
lettres d'Europe centrale, du Connecticut, d'Angleterre ... c'est valorisant
que les gens apprécient et reconnaissent ton travail. Chaque album a été vendu à
environ sept mille exemplaires. Je ne sais pas quoi penser de ces chiffres. Ce
qui était important pour nous à cette époque, c'était les concerts.
Justement, comment se passaient vos concerts, c'était apparemment le
point fort de Steel Angel...
C'est vraiment ce que j'aimais le plus.
Il y a deux sortes de concert : quand vous passez en première partie et quand
vous passez en tête d'affiche. Il y a une différence. Si vous passez en première
partie, vous ne jouez pas longtemps, vous n'avez pas de place, évidemment le son
est moins bon que celui du groupe qui passe après etc... nous avons connu les
deux.
Nous avions des tenues assez travaillées. Notre manager qui aimait les
États-Unis nous influençait pour que nous ayons ce look qui était à la mode (à
ce moment-là). Je pense qu'il y avait pas mal d'énergie sur scène, et pendant les
morceaux lourds, nous jouions beaucoup sur les poses, les attitudes.
Chaque concert est différent et a sa propre ambiance. Bizarrement, c'est en dehors
de Bordeaux que nous avons fait nos meilleures prestations. Nous n'aimions pas
jouer chez nous. Le public, quand il vous a vu une fois, est moins surpris la
seconde fois.
Comparé à certains autres groupes français, il me semble que vous avez
eu peu de soutien de la part de la presse spécialisée, qu'en penses-tu ?
Il y a plusieurs raisons à cela : d'abord, nous n'étions pas parisiens et ça,
c'était vraiment le plus gros handicap. Ensuite, si les journalistes se
tournaient vers la province, il y avait HIGH POWER qui occupait la place avant
nous. Et il fallait des moyens que nous n'avions pas pour se faire connaître
encore plus. La production de nos albums n'a pas été fameuse. Je suis sur que si
nous avions le son de l'album de FISC, les retombées auraient été plus
importantes.
Je crois savoir que Steel Angel bénéficiait par contre d'un soutien
assez étonnant en la personne du tennisman Haïtien Ronald Agénor. Comment
aviez-vous fait sa rencontre ? Et comment vous aidait-il ?
Ronald était copain avec notre manager. Doué au tennis (c'est le
seul joueur à avoir mis 6/0 à Lendl dans un set à Roland-Garros), il l'était
également à la guitare. J'ai passé de longs moments avec lui dans notre local et
il était doué, c'est certain. Quand il a vu que pour notre deuxième album, il
nous manquait de l'argent, il n'a pas hésité à nous financer celui-ci.
Pour le second album vous signez chez Sydney. Pourquoi avoir changé
de maison de disques ?
C'est notre manager qui s'est occupé de cela. Je ne sais plus les raisons
de ce changement.
Ce second opus est plus mélodique, avec des constructions de morceaux
plus "conventionnelles". Qu'en penses-tu et pourquoi un tel choix ? Comment s'est
passé l'enregistrement de ce LP ?
Je trouve le deuxième album vraiment différent du premier.
Personnellement, je trouve le deuxième moins "homogène" que le premier. Au moins
il y en a pour tous les goûts... Quel dommage d'avoir un tel son. Nous étions
partis à Paris avec l'idée que l'on aurait un son correct. Hélas ça n'a pas été
le cas. Il faut souvent que dans les productions françaises, le son soit enrobé
de reverb... c'est vrai que les ingénieurs du son français découvraient ce style
de musique. Avant Trust, il n'y a jamais eu de son saturé enregistré, ou alors
c'était des ingés étrangers qui enregistraient.
En 1986 vous participez au Sun festival dans les arènes de Bayonne.
Te souviens-tu de ce concert ? Il me semble que votre prestation a été filmée,
non ?
Malgré le son pourri, le micro de la sono qui devait repiquer
mon ampli avait été placé devant une enceinte vide et j'ai joué la moitié du
concert sans retour en façade et sur scène. C'est notre meilleur souvenir. De
nombreux fans avaient fait le déplacement et il y a eu une ambiance incroyable.
Le concert a effectivement été filmé et je crois que des personnes sont en train
de faire un montage et il sera peut-être visible bientôt. Très bon souvenir de
nos rapports avec les autres groupes et en particulier Joshua, avec qui nous
rejouions quinze jours plus tard a Albi.
La suite de l'histoire de Steel Angel est un
peu floue, que s'est-il passé ?
J'ai annoncé mon départ au groupe à l'issue d'un concert que
nous faisions à Agen. Le groupe m'a trouvé un remplaçant et il ont fait quelques
jours après un concert à la Locomotive à Paris. C'est un de mes regrets de
n'avoir pas joué ce jour là, mais ma décision était prise. A l'issue de
celui-ci le groupe s'est arrêté.
Pourquoi as-tu quitté le groupe ?
Pour moi l'important était de
tourner, de faire des concerts, et il y en avait trop peu à mon goût. Le manque
de moyens financiers qui nous empêchait d'avancer. Malgré tout cela, nous
n'avons jamais eu de problèmes comme beaucoup de groupes avaient : chômage,
alcool, drogue, problèmes avec les copines des membres du groupe, mésentente
entre nous... pour tout cela, nous étions un groupe sain.
Qu'as-tu fait ensuite ?
Coté musique, rien du tout. J'ai compensé par le sport. J'ai également
fait trois enfants... pour la relève...
As-tu gardé des liens avec les anciens membres du groupe ? Sais-tu ce
qu'ils sont devenus ?
A part Freddy le batteur, qui je crois est devenu moniteur
d'escalade, je les ai tous revus. Coté musique, ils ont tous arrêté sauf notre
manager, Philippe qui était le batteur d'OVER SOUL et qui dirige maintenant
l'organisation Bad Concert sur Bordeaux.
Et toi, que fais-tu maintenant ? Joues-tu toujours de la musique ?
Quels sont tes goûts musicaux aujourd'hui ?
J'ai acheté à mon fils une guitare électrique il y a deux ans... et
bien sur le virus m'a repris. Je me suis acheté en début d'été un petit studio
8 pistes avec lequel j'ai enregistré sept morceaux (compos et reprises). Depuis,
j'ai acheté un 24 pistes et un synthé, mais je passe plus de temps à comprendre
l'utilisation du matériel que de composer de nouveaux morceaux. J'ai découvert
le heavy symphonique... surtout Stratovarius, Edguy... etc... c'est vers ce style que
je compte me diriger. En fait, j'aime tout ce qui est mélodique. J'ai eu un
faible pour Hammerfall, que j'ai vu deux fois en concert. J'ai discuté avec le
chanteur et le soliste. Ce sont de très bons musiciens et leurs compos, si elles
paraissent classiques, sont très bien faites. J'écoute aussi de la musique
classique .
Les
deux albums de Steel Angel sont devenus aujourd'hui "cultes" et se
vendent à des prix parfois exorbitants sur Internet, qu'en penses-tu ?
Je ne comprends pas... arrivent-ils à se vendre à ces prix, je ne
sais pas. En tout cas c'est surprenant de voir cet engouement pour les groupes
hard des années 80.
Il existe une réédition CD pirate faite en Grèce des deux Steel Angel. Est-il envisageable que voit le jour une vraie réédition faite avec votre accord
et avec, pourquoi pas, quelques inédits ?
Je ne pense pas.
Les bandes doivent être difficile à retrouver,
mais on ne sait jamais...
Que penses-tu des reformations actuelles de groupes comme ADX, Blasphème ou Demon Eyes ? Pourrait-on voir un jour une reformation de Steel Angel
même pour un unique concert (comme Square) ?
Non, c'est impossible, il y a trop de problèmes à régler pour remonter le
groupe. Les autres groupes qui se reforment n'ont sans doute jamais totalement
délaissé les instruments. C'est très bien de pouvoir le faire. J'aurais aimé,
mais on ne peut pas tout faire.
Enfin, quels sont tes meilleurs souvenirs de cette épopée ?
Le jour ou j'ai vu mon disque en vente dans les bacs et un mois
après, quand le patron du plus grand magasin de disques de bordeaux nous a fait
voir les classements des ventes. Nous nous trouvions en très bonne position, et
là, ça fait quelque chose. Et d'un point de vue général sur cette époque, il y
avait à Bordeaux un nombre incroyable de groupes et à chaque concert, nous nous
retrouvions tous dans une bonne ambiance. Dans toutes les caves, il y avait un
groupe qui répétait. Et le summum fut la première fête de la musique. Là,
c'était incroyable de voir Noir Désir (avec qui j'avais joué quelques temps)
côtoyer HIGH POWER et Partenaire Particulier jouant dans la même rue ! Maintenant,
l'esprit de cette fête a complètement disparu...
Je te laisse le mot de la fin...
Nous avons eu la possibilité de faire quelques pas dans ce milieu très
fermé. La mode actuelle est à la nostalgie de ces groupes des années 80. C'est
peut-être qu'il y avait quelque chose de positif, de créatif dans notre musique.
Avec toutes les émissions de télé-réalité ou l'on vous propulse star sans que
vous n'ayez jamais rien fait, il y a un manque certain de créativité. Le public
est pourtant demandeur. Il n'a pas d'autre choix que de se tourner vers le passé.
On le voit dans tous les styles de musique, l'été sur les plages, il n'y a que
des morceaux anciens, rétros pour certains. J'ai donc repris ma guitare et peut-être que l'inspiration reviendra...
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